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Wednesday, 29 January 2014

Prince et le suicide artistique 2.0


En cinq ans et un millier de billets politiques, les deux gros cartons d’audience de ce site (et de très loin) restent mon articulet sur Instagram et mon compte-rendu du concert surprise de Prince au New-Morning en 2010.

C'est donc par pur souci d'audimat que je vous propose ce billet sur Prince et son utilisation des réseaux sociaux. Enfin presque. Il sera ici question de la désastreuse année 2013 dans la communication du chanteur

Et là, jeune, tu me dis : "mais c'est qui ça Prince, hein ?" en me toisant du dédain de celui dont la trentaine est encore loin.

OK. Flash-back (petit con) : multi instrumentiste, danseur, faiseur de tube, mélangeur de tendances, précurseur, propulsé par la Warner au début des années 80, dans le sillage du succès planétaire du Thriller de Michael Jackson, Prince est le seul artiste à avoir réellement rivalisé avec lui, l’éclipsant même à la fin de la décennie. Entre 1984 et 1991, il réunira le public et la critique autour de trois albums majeurs Purple Rain, Parade et Sign of the Times.

Au sommet de sa gloire, début des années 90, alors que rap et grunge le ringardisent, il commet une première (grosse) erreur de communication : il change de nom au profit d'un symbole imprononçable. Ce caprice lasse. Résultat : disparition des radars et des radios.


Durant 15 ans, en guéguerre avec sa maison de disque, Prince enchaîne des sorties d’album dont il ne fait quasiment plus la promotion. 

Au milieu des années 90, c'est un des précurseurs de la musique dématérialisée. Il est même à ma connaissance le premier à avoir composé une chanson dont internet est le sujet, en 1996, Emale. Avec le développement du téléchargement, il est la première "star" à collaborer avec Napster (encore illégal) en proposant un titre inédit. En 2000, il ouvre sa propre plate-forme musicale sur abonnement où il lancera les premiers podcasts, distribuera ses nouveaux albums et permettra l’accès aux abonnées à des répétitions de ses concerts : le paradis du fan.



Puis, il ferme tout deux ans plus tard et disparaît de la toile, totalement, en déclarant qu'internet est fini. Il ira jusqu’à employer des cyber sherrifs pour traquer les blogs de fans et interdire à You tube de diffuser le moindre clip de ses hits (se coupant ainsi encore un peu plus des nouvelles générations).

Dans le monde réel, il surprend encore. Avec sa résidence à l’O2 de Londres en 2007, il accomplit ce record que Jackson n’aura pas l’occasion de dépasser : 21 concerts d’affilé (40 si on compte les aftershows) dans une salle de 15.000 places. En pleine crise du disque, il bat même des records de ventes de CD en 2004, en s'auto-distribuant. Malin, il incluait l'album physique dans le prix de vente des billets de sa tournée Musicology pour le distribuer à l'entrée des shows.

Depuis, rien. Prince suit une bonne grosse stratégie de l’échec, massacrant, sciemment ou pas, sa réputation et une production discographique abondante, mais globalement peu inspirée :  distribution alambiquée de ses albums, jeu de piste pour suivre ses tournées montées à l’arrache, inflation des prix des billets et, surtout, une communication cryptique devenant opaque même pour ceux qui le suivent encore.

Et dans le domaine, l’année 2013 a explosé tous les records !


2013, c’est l’année du retour de Prince sur internet sans tambour ni trompette, mais avec une bonne dose de melon. Mais attention, un retour franc et carré serait trop simple. Non, il lui fallait prendre un énième pseudo, à base de devinettes et de codes. Au début de l’année, Un obscur compte Twitter est ouvert : @3rdeyegirl (le nom de sa nouvelle formation 100% féminine). Il faudra douze exégètes du Minneapolis Sound pour en certifier l’origine, et la publication d’un lien vers un site officiel pour qu’il n’y ait plus de doute sur l’origine du marketing potache de l’ancien Mozart du funk.

Manque de bol, la blague nulle censée faire le buzz (et accouchant d'un site "officiel" au look amateur proposant une poignée de morceaux au son discutable) est lancée au moment de la publication surprise du clip de David Bowie annonçant la sortie de son premier album en 10 ans, the next day. Le come back foireux de Prince est éclipsé d'entrée.

Prince persévère. Après avoir supprimé son site au nom imprononçable pour le remplacer par une page hmtl (à une autre adresse), il tourne lui-même un clip au camescope pour le vendre 1.77 $ sur le même site (faire payer son matériel promo, c'est pas ingénieux ça pour conquérir de nouveaux fans ? Bah non. 

(Graphisme à chier, ergonomie nulle, le premier site de superstar dont la conception vaut moins chez que les pauvres mp3 qu'il propose)

Nouvelle étape en mars, un nouveau faux vrai compte fait miroiter l’ouverture de ses enregistrements cachés si « les fans se mobilisent ». Résultat : re-rien. Le compte @3rdeyegirl a tellement peu de succès que Prince finit par avouer que c’est lui qui est aux commandes. 

Après une mini tournée américaine devant des audiences clairsemées et trois concerts au tarif prohibitif au festival de Montreux en juillet, le n’importe quoi promotionnel continue en rythme de croisière : un énième nouveau titre mou du genou est proposé en téléchargement sur le site amateur, puis retiré, puis remis, puis retiré, puis remis sous un autre titre dans une qualité audio approximative.

Durant l'été, alors que Prince fait censurer les séquences filmées à l'Iphone de ses shows, le marketing viral autour du morceau Get Lucky de Daft Punk (précisément basé sur le revival '70 '80 sur lequel Prince tente en vain de rebondir) propulsera Random Access Memories au sommet des ventes. L'internaute s'est approprié le morceau, l'a remixé, l'a propagé. A ce propos, de Daft Punk à Nile Rodgers en passant par Pharell Williams, chacun désirait travailler avec Prince et tout fan rêve d’entendre ce type de duo. Mais cela n’arrivera jamais. Comme le relate dans une conférence à mourir de rire le réalisateur Kevin Smith (voir ci-dessous), qui a eu l’occasion de « collaborer » avec lui une semaine sur un des milliers de projets de film de Prince qui ne verront jamais le jour, Prince vit dans le monde de Prince depuis trop longtemps et plus personne n’ose l’en sortir. 


(Il en a avait gros sur la patate le Kevin. La question fait 20 secondes, la réponse 30 minutes.)

Création ou promotion, le chanteur est désormais enfermé dans son bunker de certitudes (littéralement : un gigantesque complexe dans les steppes du Minnesota).

Depuis, quand ça lui prend, il fait des webcast pour 500 spectateurs à trois heures du mat’ où il filme son écran d’ordinateur portable diffusant des répétions (parfois de qualité) ou des extraits de concert (dont ses fans disposent des enregistrements piratés en HD depuis longtemps). Pendant ce temps, les Rolling stones ou Depeche Mode diffusent en stream et en direct leurs concerts.

(Je prends un risque à diffuser du matériel promotionnel, mais soyons punk que diable !)

A la fin de l'année 2013, Prince se frotte enfin au buzz, au bad buzz. Il renoue avec les paroles trash (aseptisées depuis une dizaine d'années par son entrée chez les témoins de Jéhovah). Problème, son nouveau morceau en téléchargement gratuit louche plus du côté de Boutin que du côté d'Hendrix, et ça flirte avec la lesbophobie

Dernier épisode en date : Prince attaque en justice 22 de ses fans facebook qui postaient des liens vers des vidéos de ses concerts en leur réclamant un million chacun (selon TMZ il se serait ravisé depuis, à l'approche d'une nouvelle tournée européenne). L'occasion de réécouter un titre de circonstance : Money don't matter tonight ? Ah bon non, désolé, je ne peux pas passer la vidéo officielle, elle est juste introuvable dans une version potable sur internet.

Inaudible en disque. Inaccessible en concert. Invisible en ligne. Fermé à double tour aux autres : pour l'instant, le nouveau Prince, c’est l’ancien en pire[1]. La vérification qu'à force d'avoir dix ans d’avance sur tout le monde, on peut finir par avoir vingt ans de retard sur son époque.

Restons positif, restons-en aux souvenirs. Play-list maison :


[1] A sauver néanmoins de cette année, une collaboration avec Janelle Monae sur le dernier album de celle-ci. Peut-être ce qu'il a fait de mieux en dix ans.

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