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Thursday, 25 June 2015

En route vers l'Uber


UberPop n’est pas de l’économie du partage. Bien au contraire, c’est de l’économie du chacun pour sa gueule à l’ère de la débrouille.
C’est aussi une évolution logique du travail et, j'ai bien peur, inéluctable vu l'état d'esprit et l'état politique. Face à un chômage de masse, à l’impuissance des gouvernements, à leur manque de courage et d’imagination à changer de paradigme, chacun s’en sort comme il peut avec la certitude de ne pouvoir compter que sur soi-même.

Je ne défends pas les chauffeurs de taxi pour ce qu'ils sont, mais pour ce qu'ils symbolisent dans ce conflit. J’ai précisé ici que je ne prends que très rarement le taxi, pas assez pour me faire une opinion définitive sur la qualité du service dont à vrai dire je me fous, préférant au final circuler à pied ou en vélo. C’est plus qu’une histoire de course pour une poignée d'urbains ne voyant pas pas plus loin que le bout de leur trajet qui se joue dans la guerre UberPop / taxi. C'est une étape dans l'imprégnation idéologique d’une pseudo "nouvelle économie" qui n’est que l’extension de l’ancienne au cœur de notre quotidien, voire de l'intime. 

Mettons à part la technologie. Il y a dix ans, que des gens louent à des inconnus ce bébé qu’est leur voiture était proprement impensable. Aujourd’hui non seulement ils louent leur voiture, mais ils louent leur temps et le revendiquent. La crise est plus que "passée par là" : elle est stable, durable, avec des pointes de pire. Le salariat n'est plus un objectif raisonnable pour beaucoup, et quand il y a salariat la paye ne suffit pas pour les autres. Le servage free-lance, flexible, à la demande, multicarte, sans droit, ni protection, sans futur, sur application dernier cri, devient peu à peu un modèle viable, bientôt une norme.

Le statut d’Auto Entrepreneur (dont Uber use et abuse) est le marche-pied légal de cette délocalisation interne des salariés (et des chômeurs).  L’uberisation de l’économie est une expression encore trop gentille (et diablement réussie au niveau marketing) pour le retour en arrière qu'à coup d'avancées technologiques le corps social va se prendre dans la tronche en applaudissant des deux mains. C'est le but : vous faire aimer la régression, l'éradication du collectif. Quand vous serez occupés à vous facturer entre proches des prestations de déplacement ou de bien-être, vous en voudrez moins aux responsables de la mise en pièce des services publics, de la santé, de l'éducation (et du transport dans ce cas précis)...

Derrière le prétendu lien technologique, l'économie de la débrouille, centralisée par des sociétés privées délocalisées (spécialement pour leurs bénéfices), sous-entend l'isolement de chacun, et à terme la confrontation de tous (nous ne serons plus qu'un grand marché de concurrents carnassiers).

L'extension de l'überisation dans l'entreprise, c'est aussi l'auto-entrepreneur qui remplacera le salarié (il remplace déjà le stagiaire, trop contraignant malgré sa paye divisée par cinq). C'est "moderne", c'est plus confortable, les salariés préhistoriques n'auront qu'à s'adapter et c'est toujours mieux que le chômage. Et puis tu ne seras plus un salarié avec tout ce qu'il colporte de "vieux-monde", non tu seras "entrepreneur". Ça claque ! Le chauffeur de ta destinée.

Au même moment un film cartonne en salle : "la loi du marché".

Cette époque est uberrante.

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