Il est venu le temps des pâtés de râles.
Les entends-tu ? Ouin, je paie trop d’impôts ! Ouin, on critique la réussite ! Ouin, les gens sont méchants ! Ouin, on m'aime pas parce que j'ai trop d'argent ! En quelques mois, La France est devenue une contrée de pleureuses où le poids des larmes et le choc des trémolos sont médiatiquement proportionnels à l'importance du compte bancaire.
Les patrons chialent. Les grosses fortunes se lamentent. Ces seigneuries, acteurs pétomanes multimillonnaires, rendent leur passeport sous les courbettes de journalistes ou chroniqueurs qui en feraient bien de même s'ils avaient l'once d'un centimètre cube de courage ou de talent pour aller exercer ailleurs (aux mêmes tarifs).
Soyons justes: les classes moyennes grognent aussi, comme toujours, et devine quoi : c'est encore la faute des autres, jamais la leur. Les seuls que l'on entend pas dans ce concert des rancoeurs, ce sont ceux qui en prennent vraiment plein la tronche, ceux vivant sous le seuil de pauvreté qui n'ont ni le temps ni les relais pour nous jouer le requiem des abusés depuis 6 mois.
Oui 6 mois. Car, bizarrement et même s'ils précisent souvent qu'il n'est point question de politique, ces pleureuses supportaient bien mieux l’avènement d'un Sarkozy ou les 12 années de chiracquie précédentes que le dernier semestre socialiste. Au détour d'une niche fiscale sur le personnel de maison rabotée ou d'une restriction budgétaire sur leur dernière émission, nos meurtris découvrent la soudaine douleur de vivre dans un pays détestable où les gens sont tendus. Scoop !
Pourtant je les comprends. Ce sentiment d'être à l'étroit dans un pays irrespirable et pas aimable (qui s'il égalait le taux d'armement par habitant des Etats-unis pulvériserait probablement ses scores annuels de morts par balle), je l'ai bien connu de 16 à 36 ans. A vrai dire, après être passé par tous les stades de la colère, c'est ce qui m'a poussé à écrire.
Regarde donc ce qui est marqué sur la 4e de couverture de mon premier livre, écrit en 2005 (disponible ici à un prix dérisoire, noël approche):
"Tous unis les uns contre les autres au bord du ravin de la barbarie. C'est de l'air de son pays dont il souffre.... Son pays est devenu irrespirable."
C'est beau comme du David Abiker.
Seulement voilà: pleurer ne suffit pas. La nouvelle antienne des maussades, c'est d'inviter les jeunes à se barrer d'une France "invivable". Pas vraiment un nouveau discours, ce dernier ayant de curieuses correspondances avec celui, culpabilisant, prôné depuis vingt ans sur nos écrans et voulant que les Français soient à l'éternelle traîne des autres pays dans tous les domaines.
Ça tombe bien. Comme je suis décidément en empathie, mais avec un quinquennat de décalage, avec nos pleureuses aigries: j'ai testé pour vous l'exil. Tel un disciple de l'Ifrap, en rage contre une patrie dont j'estimais qu'elle ma gâchait et, incité par la propagande du moment qui avant le modèle allemand vantait l'anglais, je suis allé voir ailleurs si l'herbe était plus verte. Je quittais, jurant que l'on ne m'y reprendrait plus, un pays gris aux rêves impossibles, une France à jamais condamnée à Drucker le dimanche et aux 35 heures le reste de la semaine.
(C'est l'objet de mon 2e livre, disponible ici, non vraiment j'insiste: noël est imminent).
Qu'ai-je conclus au terme de ce périple chez ceux qui semblaient à l'époque avoir "tout compris" juste parce qu'ils n'étaient pas nous ?
- Que l'Exil, sur ses seules raisons, n'a aucune imagination.
- Que dans cet ailleurs idéalisé, le schéma se redessine imperturbablement comme ici, avec des variantes mais souvent en plus violent, avec des pauvres d'un côté et de l'autre des riches qui leur font la leçon.
- Que, re-scoop, ailleurs il y a des choses bien et des choses moins bien. Que le pays parfait n'existe jamais.
- Que le bonheur est d'abord là où sont les siens.
- Qu'un pays n'est que la somme des individus qui le compose. Que j'avais beau me considérer jusque-là sans nation fixe, je ne m'étais jamais senti aussi français que hors de France.
- Que ce n'était pas mon pays qui était exigu et invivable, mais moi. Qu'il fallait d'abord se changer soi avant de vouloir changer son environnement.
Pour en avoir discuter avec beaucoup de gens qui ont expérimenté l'exil, ou vivent encore à l'étranger, nous en arrivons à la même conclusion: Les Français manquent effectivement d'ouverture sur les autres pays et fantasment du coup énormément en négatif ou en positif sur les "modèles" étrangers. Un seul remède: il faudrait que chaque jeune, dans le cadre de ses études, puisse partir et travailler un an hors de France. Apres nous rediscuterions à tête calmée de la France "invivable" (cache-sexe pour "économiquement pas assez libérale").
Que toutes nos pleureuses à 20K Euros mois, nos prophètes du déclin grassement payés pour rabâcher d'une onde à l'autre que nous le sommes trop, tous ces ce-pays-est-foututistes n'ayant pour eux qu'un individualisme carnassier et des tombereaux de pessimisme pour les autres, ceux aussi qui te vendent de l'identité nationale d'un côté et de la culpabilité d'être français de l'autre, bref que ces dealers d'angoisses contradictoires à cynisme redondant appelant nos compatriotes à se barrer partent en premier et aillent voir là-bas si nous y sommes.
Que la patrie compatissante avec leurs intolérables souffrances leur affrète des charters. On se débrouillera sans eux. Va savoir, on respirera peut-être même mieux.
Moi je reste. J'ai appris à aimer les 35 heures, vise désormais les 32. Et Drucker n'est pas immortel.
Alors oui, je croise plus d'un abruti par jour qui me désole de vivre ici et il y a encore tant de choses pour lesquelles il faut se battre jusqu'au bout (logement et répartition des richesses pour n'en citer que deux), mais ce n'est rien rapporté à l'ensemble des gens vifs, érudits, enthousiastes, généreux que je rencontre, avec qui je vis, et la somme de ce qu'eux et leurs prédécesseurs ont construit avec du courage, de la sueur et du génie, une somme qui n'a pas de prix et qui s'appelle un pays.
J'essaye d'être bien en France, il reste du chemin, mais le plus gros a été fait depuis ce jour où j'ai décidé de ne plus avoir peur.
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