Le clou de la restriction budgétaire frappé au marteau du "bon sens" offre le meilleur angle de tir pour dézinguer des acquis décrochés de longue lutte sous les applaudissements de ceux qui vont en payer la facture.
Nous apprenons dans un récent sondage Ifop du JDD que "deux Français sur trois" seraient favorables à l'idée de réduire ou de supprimer les allocations familiales au-delà d'un certain niveau de revenu. Ça tombe bien: on nous répète inlassablement qu'il faut économiser des milliards de partout.
Et là tu me dis "- Supprimer les allocs pour les plus hauts revenus, quelle bonne idée !".
A priori oui. Sauf que non. Derrière l'apparente justice, piétinant au passage le principe d'universalité, se cache la plus libérale des logiques.
Admettons que l'on supprime les allocations aux plus hauts revenus. Donc ça leur fait une belle jambe. Leurs mômes continuent à aller dans les meilleures écoles, à partir en vacances dans les plus beaux endroits, n'ont aucun problème de garde.
En revanche, est ainsi crée un paysage de l'allocation familiale divisé entre riches et pauvres. Les "pauvres" deviennent une catégorie d'état encore plus identifiable, puisque dissociée. Ce point est primordial, il conditionne la suite tant au niveau comptable qu'au niveau symbolique. L'intérêt budgétaire n'est pas tant de supprimer les allocations aux plus riches que de taper dans le gros de la caisse: les 90% en dessous que chacun tend à appeler classes moyennes, mais que dans un souci de cohésion je nomme peuple.
Avec un seuil de ressources pour toucher des allocations familiales se pose le problème de l'endroit où fixer le curseur (le sondage ne dit rien à ce sujet). Une fois celui-ci décidé, disons 3500 euros par mois pour un couple, il est suivi dans la minute des aigreurs de ceux justes au-dessus de la zone plancher. Et un an après la réforme, Ifop te ressort le même sondage des "deux Français sur trois", selon ce bon vieux travers de l'époque voulant que, au lieu de défendre la gamelle commune chacun trouve qu'il y en a trop dans celle du voisin. Le principe d'universalité ayant été défoncé une première fois, il devient encore plus simple pour le gouvernement, celui-ci ou un autre ("non-responsable du bilan désastreux") à chaque nouvel impératif budgétaire (et il nous en tombe trois par semaines) de baisser, palier après palier, le seuil de ressources pour bénéficier des allocations.
Ainsi, les allocations sont progressivement réservées aux très pauvres avec le flicage et la stigmatisation qui va avec (tandis que les riches, allocs ou pas, sont toujours peinards). Puis au bout de quelques années d’affaissement du seuil, un "réformateur pragmatique" arrive et conclut, toujours plein de "bon sens", que puisqu'elles ne concernent que les très, très, très pauvres, les allocations familiales ne sont qu'"une trappe à pauvreté". Elles sont donc "inutiles et contre-productives" et il faut les supprimer. Même que "deux Français sur trois" sont OK. Circulez y a plus rien à voir.
Tu peux appliquer cette méthode (sensiblement la même que celle à l'oeuvre depuis des décennies dans les pays d'inclinaisons libérales) dans l'enseignement public, la santé ou les retraites. Toujours selon le même principe:
- Marteler l'impératif budgétaire sur les ondes (avec argument massue: les autres pays l'ont fait),
- En appeler au bon sens populaire (en ratiboisant toute autre analyse),
- Surfer sur le flux sans fin des rancoeurs individuelles,
- Faire des conséquences de la réforme d'un acquis social la cause de son dysfonctionnement et ainsi justifier son éradication ou son basculement définitif dans le secteur marchand.
Il y a une chose formidable, mais mal vue, qui s'appelle l’impôt sur le revenu. Que les allocations familiales entrent dans les revenus imposables, OK, mais en ayant un impôt bien plus progressif (cette vraie grande réforme fiscale dont on a jamais vu la couleur). Les plus riches continueraient de toucher des aides, mais celles-ci seraient ponctionnées en retour pour ce qu'elles sont pour eux: un revenu supplémentaire et non indispensable.
Allez. Soyons positifs. Comptons sur le gouvernement pour nous annoncer un truc bien, absolument pas truffé d'effets indésirables.
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