L’usure de l’émotion et la routine du compromis tuent à petit feu la passion.
Voilà comment quelques amis blogueurs de gauche, plumes pourtant les plus affûtées, acharnées et régulières du web politique, en arrivent à défendre un ministre du budget pris dans la tourmente d’une enquête qui sent pas bon, à critiquer un journal d’investigation qu’il y a 3 ans ils encensaient pour ses enquêtes ciblant le camp d'en face ou à justifier l’austérité parce que tu comprends la critique est facile, mais la gestion c'est compliqué.
Comme l'écrivait Spiderman dans son journal intime, avec l'audience vient la responsabilité. Continuer à se comporter comme un militant quand bien même certains actes et décisions vont à l’inverse de ce que l’on défendait lors de la campagne présidentielle finit par vous exposer au ridicule. Un ridicule amplifié ce matin-là sur les ondes d’Europe 1 où Guy Birenbaum reprenait dans sa chronique les perles enfilées contre Mediapart par quelques "blogueurs de gouvernement". Une blague qui a fini par être prise au premier degré tant elle n'avait plus l'air d'une blague.
J'ai fait des remarques, celles que vous avez lues mais en plus violentes, qui ont attristé des amis blogueurs politiques. Je leur écris et je me l'écris aussi: ne soyons pas tristes, soyons énervés. Si l’on perd cette colère face à la corruption d’où qu’elle vienne ou à l’injustice sociale, si l’on n’a plus l'ardeur à défendre ses convictions et que l’on se satisfait d'un pouvoir du moindre mal, alors oui, il vaut mieux arrêter et partir sur une victoire tant que c'en est une.
Ironie. Au moment où nous nous engueulions entre blogueurs, Sarkozy était mis en examen pour abus de faiblesse dans l’affaire Bettencourt, sur la base de l'enquête de Mediapart. Même si je ne me fais guère d’illusion sur la suite, l’évènement dégomme le comeback prématuré de l’homme providentiel, saison 2017. Il nous gratifie au passage, après la bataille de la COCOE, d'une deuxième session de grotesque en quatre mois pour une UMP à la tête coupée[1].
Voyons-y la conclusion symbolique d'une époque de dénonciation et de pilonnage à laquelle nos blogs ont, car ce n'était pas rien, contribué. Faut-il que je rappelle ici quelle était la tonalité du paysage médiatique entre 2007 et 2010[2] quand, par exemple, nous étions quasiment les seuls à relayer ou écrire sur les articles de Mediapart à propos du Karachigate ?
Je me rappelle d’une chaîne qu’avait lancée Sarkofrance il y a quelques années au sujet de l’avenir de nos blogs après 2012. J’y répondais qu'il faudrait d’abord "que la gauche accède au pouvoir" et que "cette alternance ne soit pas le clone chloroformant de la clownerie réformatrice du moment".
Tu vois, je n’avais aucune raison de m’inquiéter pour le futur des blogueurs politiques.
Ceux-ci remettront sans cesse leur ouvrage sur le métier.
[1] Ce camp n'a toujours pas fait le deuil du pouvoir, n'a pas fait non plus le bilan du sarkozysme, et persiste dans un délire décomplexé où le racisme de classe, la certitude d'avoir le droit d'être au-dessus des lois, le dispute au complotisme et à la haine aveugle de tout ce qui est soupçonnable d'être de gauche.
[2] Celle du pouvoir en place, as usual.
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